Boulimie – La reine des émotions

“Je suis en train de devenir folle. Je ne me comprends plus du tout. Ce que j’ai fait hier est tout à fait horrible: j’ai mangé tout ce qu’il y avait dans le réfrigérateur, une tarte aux raisins au complet, un litre de crème glacée, une demi-boîte de biscuits au chocolat, c’est tout ce qui restait, et un litre de lait. J’ai mangé comme si cela était pour être la dernière fois de ma vie. C’était comme un cauchemar, mais quand je me suis éveillée après ma crise, je me suis bien rendu compte que je n’avais pas rêvé, tous les contenants étaient bien là, videse Je crois réellement qu’il n’y a rien à faire avec moi. Quand je me mets à manger, je ne peux plus m’arrêter, c’est plus fort que moi. Croyez-vous que je peux vraiment m’en sortir, docteur?”

C’est une jeune femme de 35 ans qui est devant moi et son témoignage peut ressembler à des milliers d’autres. Je l’appellerai Françoise. Elle est mère de deux enfants, un garçon de 7 ans et une fille de 5 ans. Elle est infirmière de profession et est responsable de l’unité des soins intensifs dans un hôpital. Elle me consulte pour son problème de poids, elle a environ 10 kilos (22 livres) en trop qu’elle n’arrive pas à perdre malgré plusieurs efforts dans ce sens depuis 4 ans.

Dans le but de connaître beaucoup mieux Françoise, je lui demande de faire le questionnaire Poids Mental. C’est une cinquantaine de questions de nature psychologique. Répondre au questionnaire prend environ 25 minutes. C’est en fait un moniteur du comportement ou, si vous voulez, une balance qui pèse ce qui se passe à l’intérieur de notre tête donne un chiffre qui est comme un poids de comportement. Le résultat idéal est le même que le poids idéal de la personne. Plus le résultat est élevé, plus le comportement a des lacunes et est à améliorer. La personne peut donc évaluer une fois par mois où elle en est dans son comportement. En plus, il fournit au médecin un profil de la personnalité qui tient compte des habitudes, de la motivation, du stress et des émotions.

Les résultats de Françoise furent très intéressants: son poids de comportement était à 170 soit tout près de la normale. Son profil dénotait une personnalité très bien équilibrée dotée d’une grande confiance en elle-même. Sa motivation était excellente. Ses habitudes étaient assez bonnes sauf en quelques occasions lors de crises de boulimie (rage de faim avec absorption démesurée de nourriture). Le questionnaire Poids Mental nous révélait finalement la cause de ces crises: les émotions. Son score à ce chapitre était de 50, soit très élevé, la normale ne devant pas dépasser 30. Deux critères étaient responsables de cet état de choses: un perfectionnisme très poussé et de la culpabilité.

En communiquant à Françoise ses résultats, je la vois se détendre et esquisser un sourire. «C’est vrai que j’ai confiance en moi et je crois que c’est à cause de cela que je réussis très bien dans tout ce que j’entreprends, sauf malheureusement dans mon problème de poids, je n’y comprends vraiment rien. Cela me frustre et je m’en veux beaucoup.»

«Pour comprendre ce qui se passe, il va falloir étudier votre comportement, les pensées et les émotions qui précèdent vos crises.»

Elle m’interrompt:

«J’aime mieux ne plus y penser et regarder vers l’avenir. Ça me fait tout drôle, je me sens mal lorsque j’y pense ou quand j’en parle. Non, j’aimerais mieux qu’on ne parle plus de mes crises si vous le voulez bien, docteur.»

«Je comprends bien, Françoise, votre réaction. Vous vous sentez coupable de votre geste, cela vous fait très mal parce que vous avez voué votre vie à l’excellence et que vous n’acceptez pas d’être incapable de contrôler vos crises de boulimie. Cependant, le seul moyen efficace que nous avons pour vous débarrasser de ces crises est d’étudier votre comportement. Vous allez donc profiter de vos échecs passés pour vous améliorer. Voilà la seule façon d’apprendre à améliorer votre comportement et à contrôler vos émotions, car c’est l’étude même de vos erreurs qui vous permettra de ne plus les refaire et finalement de progresser.»

«De toute façon, docteur, je ne sais même pas pourquoi j’ai fait cela. Je ne vois aucune raison valable pour expliquer mon horrible comportement d’hier. Tout allait bien comme d’habitude, mon travail, mes enfants, mon mari… Vraiment je ne me comprends pas du tout!»

Ce n’est pas facile pour Françoise de revenir en arrière, car sa crise de boulimie est dans sa mémoire comme une blessure qu’elle ne veut surtout pas rouvrir.

Automatisme

Les crises de boulimie sont ordinairement liées à des états émotifs. Quand nous analysons les résultats du questionnaire Poids Mental, nous découvrons que Françoise est particulièrement vulnérable de ce côté.
«Dans les jours qui ont précédé votre crise, n’auriez-vous pas subi des contrariétés ou des frustrations?»
«Non, je ne vois pas.»
«À la maison, les enfants ou votre mari n’ont-ils pas été malades, contrariés?»
«Non, ça va très bien. Je ne peux pas demander mieux.»
«Est-ce que votre santé est bonne?”

«À part mon problème de poids, je me sens très bien. Je fais du jogging et des exercices deux fois chaque semaine. En plus je joue au racquetball une fois par semaine. J’ai besoin de ces activités physiques pour être en forme et réussir à bien faire tout ce que j’ai à faire. Mon apparence pour moi est très importante et je ne peux pas accepter mes 10 kilos en trop.»
«Au travail, comment ça va?»
«Depuis un mois, je suis l’infirmière responsable des soins intensifs. Cela a été un choc pour moi, je ne croyais pas avoir le poste à cause de mon poids. J’aime beaucoup mon travail, mais c’est assez stressant. C’est beaucoup de responsabilités.»

En fait, le travail de Françoise était très exigeant. Elle avait 12 infirmières sous ses ordres et devait voir à la bonne marche de l’unité des soins intensifs. Or, ces derniers temps, il existait à l’hôpital un conflit syndical entre le personnel de soutien et la direction. Les moyens de pression employés par le syndicat amenaient une détérioration des soins prodigués aux malades. Tout le monde en souffrait, les malades, les infirmières, les médecins traitants et, par ricochet, celle qui était responsable de l’unité, Françoise. Face à une situation qu’elle ne pouvait pas contrôler et qui n’était pas de son ressort, elle essaya de suppléer au manque de soins du mieux qu’elle pouvait. Finalement, les patients n’en souffrirent pas trop. Mais c’est avec un grand sentiment de frustration qu’elle rentrait chez elle après sa journée de travail.

«Je trouve cela épouvantable que, pour des querelles syndicales, on prive des malades de soins auxquels ils ont droit. C’est tout à fait inacceptable. Mes parents m’ont inculqué des principes moraux importants, dont celui du sens des responsabilités et du travail bien fait. Je vous avoue que cela peut être frustrant d’oeuvrer aujourd’hui sur le marché du travail.»

La veille de sa crise de boulimie, Françoise avait eu une prise de bec avec un représentant syndical sur la définition des soins essentiels à apporter aux malades en cas de grève du personnel de soutien. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Françoise est une perfectionniste qui refuse les demi-mesures. Comme le syndicat la forçait à agir contre ses principes, elle avait accumulé beaucoup de frustration. Finalement, c’est seulement le lendemain, sans vraiment prendre conscience de la relation de cause à effet, qu’automatiquement, sa frustration l’amena à se jeter sur la nourriture sans aucun contrôle.

Le comportement automatique

Lorsque les psychologues étudient le comportement d’une personne, voici comment ils décomposent les différentes phases:
1—un FAIT EXTÉRIEUR survient
2—qui peut provoquer une ÉMOTION
3—qui provoque à son tour un COMPORTEMENT

Dans le cas de Françoise, ce qui s’est passé se résume comme suit:

1—Le FAIT EXTÉRIEUR: elle est obligée par le syndicat de faire quelque chose de contraire à ses principes
2—L’ÉMOTION: elle en ressent une grande frustration
3—Le COMPORTEMENT: elle a une crise de boulimie.

La première chose que Françoise doit maintenant comprendre, c’est que son comportement de manger suite à sa frustration est tout à fait automatique. C’est-à-dire que ni sa volonté ni son conscient n’y ont participé. C’est un réflexe conditionné qu’elle a probablement acquis depuis sa plus tendre enfance.

«En effet, je me souviens: quand j’étais petite, dès que je ressentais une frustration ou une déception, ma mère me consolait avec des friandises. Je pense que vous avez raison. Je n’ai même pas le temps d’y penser et je me retrouve dans le réfrigérateur.»

Il faut savoir que la boulimie qui suit la frustration est aussi automatique que le fait de retirer votre main lorsqu’elle passe trop près d’une flamme. Ce réflexe, vous l’avez appris probablement enfant, après vous être brûlé à quelques reprises.

«Je comprends mieux maintenant pourquoi je fais mes crises, mais est-ce que je peux briser cette habitude, ce réflexe automatique de manger suite à une frustration? Cela ne m’a pas l’air très facile!»

«Ce n’est effectivement pas très facile de briser cette habitude. Les émotions particulièrement, lorsqu’elles sont intenses, déclenchent des comportements de même intensité presque spontanément, de sorte que la volonté n’a pas le temps d’intervenir. Lorsque vous pouvez prévoir une émotion ou lorsque l’émotion que vous ressentez est d’une intensité plus faible, il devient alors possible de briser cette habitude en changeant de comportement. Par exemple, au lieu de manger, vous pouvez aller prendre une marche, écrire votre frustration ou passer rapidement à une autre activité.»

«Est-ce qu’il y a d’autres choses à faire quand l’émotion est forte et subite? C’est plutôt mon cas. Même si les choses vont bien, avec toutes les responsabilités que j’ai à supporter à la maison et au travail, vous me faites rendre compte qu’il m’arrive plus souvent que je pensais d’être frustrée.»

Dans un premier temps, je voulais que Françoise comprenne son comportement afin qu’elle élimine le sentiment de culpabilité qu’elle entretenait envers elle-même suite à ses crises de boulimie. Ceci est très important: Françoise ne peut pas être coupable. Elle est en fait la victime d’un réflexe, d’une habitude. On ne peut pas être à la fois victime et coupable. Il est capital qu’elle élimine son sentiment de culpabilité pour pouvoir progresser normalement vers le contrôle de ses émotions. La culpabilité est une émotion négative qui ne peut entraîner qu’un comportement négatif d’autodépréciation ou d’autopunition.

Extrait du livre Maigrir par le contrôle des émotions du Dr Maurice Larocque.

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JF Larocque
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